lundi 9 juillet 2012

Bibliothèque SouTerraine de Montreal

« It was the best of times, it was the worse of times.* »

Ce serai une façon de vous décrire mon sentiment le matin (ajouter le soir aussi) lorsque j'embarque, pleine de regrets pour mon lit, dans un des wagons bleus de la STM. L'anonymat condensé, embrouillé et de mauvaise humeur n'a rien pour rendre plus douces les quelques minutes suffocantes qui font de ce trajet un passage obligé et des passants désobligeants.

Jamais nous sommes nous autant forcé de vivre 'en commun' que lorsque des corps inconnus se pressent tout autour de soi dans la sueur de l'instant, leur haleine caféinée pourrissant le peu d'air qui s'échappe de la ventilation déjà défaillante. Partout ailleurs, cette promiscuité, que dis-je, même un frôlement au passage, serai rabrouée vertement s'il advenait que notre 'bulle' soit affectée tant soi peu.

Cependant, dans les wagons de la STM, où s'entassent les matinaux récalcitrants et autres bonnes gens, cette promiscuité, quoi qu'à peine tolérée pour certain, est placidement ignorée tout au plus. Tellement, que même lorsqu'il est évident que la politesse ou la décence élémentaire en société n'est pas respectée, tous ferment les yeux, la bouche et coincent ce qu'il y a entre leur deux oreilles dans une pensée unique et ainsi évitent soigneusement d'appartenir au moment présent.

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais les conversations bruyantes de jeunes poulettes aux hormones enhardies me placent dans un inconfort épouvantable. Les commentaires haineux ou simplement ignares de certain passagers me plongent dans une profonde gêne, comme si j'en étais l'auteur, comme si je prenais sur moi leur stupidité; dans ces instants, je suis comme tous ces gens que je vous décris. Je fais la sourde oreille, espère disparaître si possible. Ce n'est pas une blague! J'ai, à plusieurs reprises, carrément changé de wagon à la station suivante. Quoi qu'on pourrait en dire, je prône l'individualisme dans les sous-terrains de la STM; c'est un mal nécessaire pour survivre à ce trop plein d'humanité.

J'ai donc toujours sur moi, l'arme ultime: un livre. Devanture blindée de mon individualisme matinal. C'est la possibilité de se projeter dans une multitude de mondes, mais bien plus encore, faire abstraction de celui qui nous entoure. Un livre entre les mains, le temps passe et s'efface sans qu'il n'y paraisse. La chaleur aux odeurs de produits de beauté semble s'estomper, les voix enrouées semblent elles aussi se dissiper comme un murmure lointain. Plus rien n'existe si ce n'est l'emprunte résonante des mots sur mon imaginaire gourmand et avide d'aventures. À un point tel que, parfois, c'est à regret que je quitte mon siège bleu...

« It was the best of times, it was the worse of times.* »

Sur le sujet de l'individualisme et, mordus comme je suis de lecture matinale et vombrissante sur les rails de la STM, l'impact de ces livres n'est pas étranger à cette faculté que nous avons d'apprendre à se connaitre. Je dirais même qu'il est possible de se bâtir à travers eux. Un livre a le pouvoir de changer une vie. Je dis cela en connaissance de cause; pour moi ce fut L'immortalité, de Milan Kundera. Cette lecture a eu l'effet d'un baume sur mes angoisses. Sa plume posée, poétique, sa philosophie amoureuse a su percer mes peurs, raisonner cette effroyable épouvante que j'avais de ma propre mortalité.

Plus encore, ce qu'un livre à de merveilleux est son pouvoir d'ouvrir les esprits et nourrir l'intelligence. Du même coup, la capacité à comprendre les autres s'aiguise avec chaque roman, chaque intrusion dans les mondes que proposent leurs auteurs. Un apprentissage égoïste, individuel certe, pourtant riche de cette découverte que l'on fait de l'humain, de l'autre, de soi.

De façon ironique, je me sens même plus proches de mes compatriotes voyageurs, lorsqu'un livre à la main, je sens leurs regards sur moi. Certains me font un sourir de conivence, transmettant de par l'éclat de leurs yeux l'appréciation qu'ils font de ma lecture. J'ai même eu droit, un jour, au plus beau des clins d'oeil... Mais les portes se sont aussitôt refermées sur la promesse éphémère d'un jeune homme plus que charmant. Je remerciais tout de même Robert Jordan pour ce moment découpé de romantisme. 

C'est donc en compagnie d'un livre que je me sens le plus en harmonie avec la faune urbaine des transports en communs. Comment ne pas sourir en toute connaissance de cause tandis qu'une femme ,  plongée dans Le Goût du Bonheur, réalise trop tard qu'elle a râté sa station? Comment ne pas éprouver un sentiment de profonde complicité lorsqu'un usager tourne les dernières pages d'un Harry Potter. Ou comment ne pas éprouver un pincement de nostalgie alors que son voisin découvre Les Trois Mousquetaires ? Ou resister à l'envie de tout dévoiler de La dame dans l'auto, avec des lunettes et un fusil, ou ne pas ressentir l'envie soudaine de découvrir Orwell, alors qu'un étudiant surligne quelques phrases de 1984 en fronçant les sourcils ?

Le livre: arme ultime de l'individualisme matinale ou écran solidaire de notre humanisme? Et maintenant que je pose la question, je réalise tout d'un coup que tout cela vient de chavirer depuis que d'autres et moi-même avons troqué le papier pour un e-Book.

Ai-je fais un pas technologique qui renforce mon individualisme? Lequel ne tient plus qu'a la charge d'une batterie! Ai-je, du même coup, briser l'écran solidaire de cet humanisme de connivence ?

PS: Ce billet est inspiré d'une découverte blogue que Voici, sur ce que les New-Yorkais lisent dans le métro.

Bonne semaine et bonne lecture xx

*C.  Dickens